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Date de mise à jour : 30/10/2017 (60 nouvelles épaves, 41 mises à jour)

LE BUGALET BREIZH

(1987 - 2004)
Un drame de la mer qui se transforme en rocambolesque roman de fiction
ou la dérive incontrôlée d'une opinion publique mal informée et manipulée...
Publié par Jean-Maurice Authié, le 28 octobre 2009

Bugaled Breizh

Bugaled Breizh

BUGALED-BREIZH, chalutier 103 tx, immatriculé au Guilvinec GV et basé à Loctudy. Le 15 janvier 2004, le chalutier BUGALED BREIZH est en pêche au Sud du Cap Lizard. Les conditions météorologiques sont habituelles pour la région et la saison, avec coup de vent de Sud-Ouest et bonne visibilité se réduisant sous les précipitations. Un autre chalutier du Guilvinec, l'ERIDAN patron Sege Cossec, pêche dans les mêmes parages. Les deux navires ont l'habitude de travailler dans les mêmes eaux et ont des contacts fréquents par radio VHF. Le BUGALED BREIZH appelle à deux reprises l'ERIDAN pour dire qu'il chavire et donner sa position, puis les contacts sont interrompus et le navire disparaît corps et biens.

Analyse

Je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'un sous marin pourrait être la seule cause plausible dans le naufrage du "Bugaled Breizh".
Cette malheureuse affaire, depuis le début, est soumise à la rumeur et dérive inconsciemment vers le sensationnel et l'irrationnel, comme si rien de tragique ne pouvait se passer par cause naturelle ou accidentelle. L'homme a besoin d'associer le mystère, voire le surnaturel aux faits tragiques pour expliquer le survenu de ces événements. N'existerait-il pas d'explications simples, banales et ordinaires pouvant exprimer de façon rationnelle un enchaînement de circonstances ayant abouti à une tragédie ?
La mort naturelle laisse l'opinion indifférente, la mort violente suscite l'intérêt et déchaîne les passions... Faut il pour autant émettre des hypothèses douteuses à chacune des disparitions en mer pour attiser l'intérêt du public ? là est la question ... le fait est que dans le cas présent, une hypothèse prend la forme d'une certitude en dépit de tout bon sens et devient la seule voie envisagée.
Imaginons qu'un élément nouveau vienne écarter à jamais l'hypothèse du sous marin responsable. L'événement perdrait tout intérêt aux yeux de l'opinion publique qui se désintéresserait du même coup de cette affaire, ramenée à un simple naufrage, saga qui la tenait pourtant en haleine depuis janvier 2004.
Qui aurait intérêt à ce que "la sauce" retombe ? certainement pas les médias.... le papier se vend bien, l'audio visuel captive les esprits, les romanciers se déchaînent, le fond de commerce se porte bien. Tout le monde va dans le même sens, comme une meute bien homogène que rien ni quiconque ne vient contredire, sauf peut être parfois un malheureux expert ou l'État par l'intermédiaire d'un de ses porte paroles. Mais que peut représenter un discours mesuré face à une opinion publique que seul l'aveu ultime d'une infamie pourrait satisfaire ? Alors pourquoi ne pas continuer dans ce sens, puisque tout le monde en redemande ?
Le retour à la réalité risque d'être brutal... surtout pour les ayant droit dont la vie a changé depuis ce 15 janvier 2004, qui pleurent leurs proches et à qui l'on affirme qu'ils ont été victimes d'un sous marin pirate dont les agissements sont couverts par le secret d'État. Est il raisonnable de les instrumentaliser de la sorte, d'utiliser leur peine pour sensibiliser encore plus l'opinion ?.
Les preuves à l'en contre d'un sous marin me semblent bien ténues pour considérer cette piste comme seule et unique. Qu'adviendra t'il d'eux s'il s'avère qu'il s'agit d'une toute autre chose ? A peine quelques jours et l'opinion publique aura tout oublié. Elle se sera passionnée entre temps pour un autre sujet qu'on aura su lui donner en pâture, mais eux ne pourront jamais oublier les manoeuvres et manipulations dont ils ont été les victimes depuis si longtemps.
Il est heureux qu'aucun sous marin n'ait disparu depuis ce 15 janvier 2004, sans quoi nous aurions eu droit, immanquablement aux confidences d'un romancier "bien informé" qui nous aurait appris que le commandant de ce sous marin aurait reçu l'ordre de se saborder pour effacer toute trace de son infamie, entraînant avec lui tout son équipage, honneur et dévouement au nom de la raison d'État. Épilogue d'une bien belle histoire, digne d'un roman de fiction.

Naufrages du "Galv ar Mor" et du "Cité d'Aleth

Naufrages
images

Si l'on remonte 27 ans en arrière, d'autres événements analogues se sont produits, qui n'ont pas connu de tels déchaînements populaires et médiatiques que ceux que nous vivons aujourd'hui.
Le 28 juillet 1982, le "Galv ar mor" disparaissait en mer d'Irlande avec tout son équipage. Le 10 janvier 1983, le "Cité d'Aleth", chalutier concarnois disparaissait à son tour, également en mer d'Irlande avec 11 hommes à son bord.
Plus récemment le chalutier également Concarnois "La Jonque" sombrait entraînant la mort de son équipage de 5 personnes. Aujourd'hui le "Bugaled Breizh" est toujours sur le devant de la scène et les ayant droit réclament justice, bien remontés par un entourage de circonstance qui exige, comme pour "La Jonque", que la responsabilité d'un sous marin soit reconnue comme cause unique de ces tragédies.

Action de l'État en mer

Revenons encore un peu en arrière... Dès début août 1982, Premar Brest envoie en mer d'Irlande, successivement, plusieurs missions de chasseurs de mines afin de tenter de découvrir la position et les causes du naufrage du "Galv ar mor.
La zone de pêche est étendue et la "cellule opérations" découpe la zone en carrés. Les missions de recherche vont se succéder et le nombre de carrés restant à visiter se réduire jusqu'à ce que, le 12 janvier 1983, le "Cité d'Aleth" disparaisse à son tour dans la tempête et dans la même zone. Il faut tout reprendre depuis le début. Les moyens de recherche sont doublés mais le mauvais temps ne permet pas aux chasseurs de mines de travailler, même à minima.

Circé
PAP
Chasseur de mines Circé
PAP

Passées les tempêtes, les recherches reprennent. Dès mi février 83, une première épave est découverte. Des tirs PAP (poisson auto propulsé filoguidé disposant d'une caméra de nez à lecture instantanée depuis la surface) sont réalisés et permettent d'identifier le "Galv ar mor" sans qu'il soit possible de déterminer les causes de son naufrage, le temps passé et le mauvais temps récent ayant provoqué le recouvrement partiel des surfaces visibles.
Dans la même semaine et pas très loin, par 75 mètres de fond, le "Cité d'Aleth" apparaît enfin sur l'écran du sonar. Le PAP est mis à l'eau et entreprend une visite superficielle de l'épave afin de l'identifier précisément. La visite se termine par le suivi d'une fune (câble d'acier reliant le chalut au chalutier) à l'extrémité de laquelle se trouve un panneau de chalut puis le chalut qui semble contenir une masse informe se prolongeant sous la surface du fond.

La commission d'enquête du "Cité d'Aleth"

Le 5 mars 1983, le "Gustave Zédé" appareille de Lorient pour une mission d'investigation de l'épave du "Cité d'Aleth". Le "Gustave Zédé" est un bâtiment support de la Marine Nationale pouvant mettre en oeuvre des moyens d'intervention sous marine. Il est équipé d'un caisson hyperbare permettant des interventions humaines en incursion et en saturation jusqu'à 250 mètres.

Gustave Zédé
SMI
Gustave Zédé
Sous-marin "crache plongeurs"

A ce caisson est associé le sous marin crache plongeurs "’La Licorne" (8,50 mètres de long, poids 11 tonnes, propulsion électrique), vecteur mobile de transport et de confinement des plongeurs depuis le caisson jusqu'à leur objectif. Il dispose de 2 compartiments habitables, l'un à l'avant, à pression atmosphérique, dans lequel se trouvent le pilote, le navigateur et le directeur de plongée, le second au milieu accueillant 2 plongeurs qui pourront effectuer des sorties, en bout d'ombilical (1), jusqu'à 25 mètres en périphérie du sous marin. La partie arrière contient les réserves de gaz pour les plongeurs.<br>
Ce sous marin est autonome, il est mis à l'eau par un portique à l'arrière du "Gustave Zédé" , il rallie son objectif, se pose sur le fond et fait sortir ses plongeurs. Une fois l'investigation plongeurs terminée, il referme son panneau inférieur et remonte en surface tout en régulant la pression de la sphère plongeurs en fonction des tables de décompression. De retour sur le pont du GZ (Gustave Zédé) il est déposé sur un rail qui va le guider jusqu'à la verticale du caisson hyperbare, sur lequel il va être clampé (solidarisé). Dès lors les plongeurs, toujours en pression, vont transiter à travers un conduit pressurisé, du sous marin vers le caisson. Arrivés dans le caisson, ils vont continuer leur décompression durant 5 à 6 heures, sur des couchettes, bien au chaud sous leurs couvertures. Ils pourront s'alimenter et communiquer avec l'extérieur.

Le 5 mars, le GZ appareille donc de Lorient avec évidemment son équipage mais aussi 12 plongeurs profonds du GISMER (Groupe d'Intervention Sous la Mer) et, autant que je me souvienne, 2 Officiers de police judiciaire (OPJ), 1 ou 2 membres du BEA Mer et un représentant du comité régional des pêches.
Le 8 mars le GZ arrive sur zone et entreprend la mise à l'eau de "La licorne" en version observation, sans plongeurs à bord.

Cette première plongée est destinée à une reconnaissance de l'environnement afin de relever les points particuliers qui feront l'objet d'une analyse ultérieure par plongeurs. Le SMI "La Licorne" (Sous-marin d'Intervention) est équipé d'une caméra disposée sur un bras, télécommandé, manipulable de l'intérieur.
Après 2 heures d'investigations, le SMI refait surface. Les bandes sont aussitôt visionnées en présence des membres de la commission.
Il va s'en suivre, au fil des jours, une campagne minutieuse d'investigations par plongeurs, à raison de 1 à 2 plongées par jour. Tous les points sensibles sont identifiés et chaque plongée sera réalisée suivant un scénario bien établi afin de relever le maximum de détails.

Les plongeurs iront observer et filmer l’intérieur de la passerelle, la position des commandes de barre, de machine, des treuils... Ils iront également relever la position des portes et panneaux donnant sur l'extérieur, ceux communiquant avec le pont inférieur, l'état des sabords de la plage arrière, l'accès à la machine, à la cale à poissons... Ils investigueront les locaux accessibles, aussi loin que leur permettra la longueur de l'ombilical, ils iront également constater et mesurer l'enfoncement des tôles sur les flancs de la coque, à l'avant, le comparer au reste de la coque, mesurer l'enfoncement de la quille et du safran dans le fond de vase, constater la présence de radeaux de sauvetage encore en place, d'un canot sur la passerelle.

Gismer
Gismer

La plage arrière fera l'objet d'une enquête minutieuse, tout y est filmé, la position des freins de treuils de funes, le nombre de tours de câbles sur les tambours, l'état des poulies, des chapes, l'inventaire des objets divers éparpillés sur le pont. Il est constaté que la fune bâbord est sectionnée à la sortie du treuil, les 2 tuyaux d'une ligne oxyacétylènique reposent sur le pont, cette ligne se prolonge jusqu'à l'arrière, passe par dessus le bordé et continue à l'extérieur. Un chalumeau est fixé à son extrémité et pend à quelques dizaines de centimètres au dessus du fond. La fune tribord part sur la droite et disparaît dans l'eau sombre.

Le SMI suivra cette fune pour arriver au chalut et fera sortir les plongeurs afin d'identifier la cause de la croche. Il s'agit d'un vieux chalut abandonné, probablement depuis fort longtemps compte tenu de son enfouissement et de la résistance qu'il a, semble t'il, opposée à l'avance du chalutier. La fune bâbord est suivie jusqu'à son extrémité, elle est proprement sectionnée, probablement par oxycoupage et gît sur le fond à bonne distance du chalutier.
Ces quelques éléments ont permis de retracer le scénario probable de la catastrophe :

Le scénario probable de la catastrophe

Ce 12 janvier 1983, le temps est mauvais, la mer est forte, le patron constate qu'il est croché. Comme c'est souvent le cas, il suffit parfois de monter en régime, augmenter la traction, pour que la croche lâche. Cette fois la croche est sérieuse, ça ne vient pas, il file sur les funes et augmente la traction. Insensiblement, le bateau n'avance plus mais dérape et finit par se retrouver sous les trains de houle (les vagues arrivent de l'arrière), les coups de butoir de la houle sur le tableau arrière augmentent encore la tension sur les funes. Des paquets de mer embarquent par l'arrière et submergent le pont.

A cet instant précis, le point de non retour a probablement été franchi. Il n'est plus possible de battre en arrière, même légèrement, encore moins de venir se positionner à l'aplomb de la croche. Il faut tenir la position envers et contre tout et surtout ne pas reculer. L'énergie potentielle élastique emmagasinée dans les funes, tendues comme des cordes à piano, est égale à la force exercée par le moteur du bateau poussé à plein régime additionnée à celle des coups de butoir de la houle sur le tableau arrière qui "rajoute un cran" à chaque impact.
Ces forces contraires sont en équilibre, c'est à dire qu'elles s'exercent à force égale et en opposition. Leurs extrémités sont immobiles. Si l'une d'entre elles faiblit ou disparaît, l'autre se développe.

Trois hypothèses ont été envisagées :

Premier cas :

La croche largue à cet instant précis. Le bateau va faire une embardée en avant qui sera rapidement absorbée par la libération de l'énergie emmagasinée dans les funes. Tel un élastique, les funes vont ramener brutalement le chalut vers le bateau mais sur une courte distance qui sera fonction du taux d'élasticité du métal des funes et de la résistance de l'eau au glissement du chalut. Maintenant libéré, le bateau sera ramené "bout à la vague", le chalut sera relevé. L'alerte aura été chaude ! Le patron n'aura plus qu'à s'essuyer le front, relever la position du point de croche, on répare et le boulot continue...
Ce n'est malheureusement pas ce qui s'est produit.

Deuxième cas :

Les funes pourraient aussi être comparées au câble d'alimentation électrique d'un aspirateur dont le ressort se tend, plus on tire du fil. En bout de course, l'énergie potentielle élastique de ce ressort est verrouillée par un frein. La puissance exercée par le moteur du bateau équivaut à ce frein. Si le patron "coupe les gaz" ou si le moteur stoppe tout seul, cela équivaut à libérer le frein. Tel l'enrouleur de l'aspirateur qui ramène à lui la prise électrique en bout de câble, la mer va avaler le chalutier, le bateau va être entraîné brutalement vers le fond, favorisé par son angle d'incidence.
Ce n'est pas non plus une version retenue, puisqu'une des funes a été retrouvée sectionnée.

Troisième cas :

La croche tient bon, le bateau s'alourdit de l'arrière, l'axe de traction des funes (vers le bas) lui fait lever le nez, l'eau envahit progressivement la cale machine augmentant encore l'assiette positive (inclinaison vers l'arrière), à chaque nouvelle vague il donne l'impression de s'enfoncer un peu plus.
Le patron est probablement très expérimenté, il sait que s'il réduit sa traction ou s'il la stoppe, l'énergie potentielle emmagasinée dans les funes va l'entraîner vers l'arrière, vers le bas et l'envoyer par le fond. Tel un nageur avec une gueuse au pied qui se maintient en surface en nageant énergiquement, s'il arrête de nager, il coule.
Cette situation ne peut pas être maintenue éternellement, les conditions se dégradent. Plus le temps passe, plus les chances de s'en sortir diminuent... Il faut vite faire quelque chose pour se sortir de là.

Il semblerait que ce soit ce troisième cas qui se soit produit.

Relevés et observations

Une fois ce scénario probable envisagé, les enquêteurs vont s'attacher à le corroborer à l'aide d'observations in situ. Les plongées suivantes vont avoir pour objectif le relevé d'éléments de détail en faveur ou en défaveur de ce scénario.
A l'issue de l'exploitation des éléments relevés sur l'épave, aucun élément en défaveur du scénario retenu n'a pu être relevé. Par contre, un certain nombre de détails, qui seraient trop nombreux à énumérer, ont été relevés et vont permettre d'expliquer, entre autres, l'absence de radeaux de sauvetage en surface, la rapidité de la submersion, la déformation des structures.
Pour ce qui concerne les structures, comme chacun le sait, pour qu'un frigo soit efficace, il faut qu'il soit étanche. C'est le cas de la cale frigo sur les chalutiers. C'est également la raison pour laquelle on constate une déformation des tôles vers l'intérieur. L'eau ne pouvant pénétrer dans la cale frigo pendant la phase de descente, la pression de l'eau ne peut s'exercer que sur l'extérieur.
L'intérieur de la cale réfrigérée étant à la pression atmosphérique (1 bar) et l'extérieur à la pression ambiante, qui est celle du fond à 70 mètres (8 bars) , la différence de pression entre l'intérieur et l'extérieur de la cale sera de l’ordre de 7 kg/cm2. Il suffit de relever la superficie exposée pour se rendre compte de la force exercée sur la coque qui explique l'aspect tourmenté des structures. Si l'on considère une superficie d'environ 40 m2 pour les façades latérales de la coque avant, en rapport avec la cale réfrigérée, la force exercée par la pression de l'eau sur ces parois est d'environ 2800 tonnes, sans contre pression... Il est inutile d'aller chercher un autre responsable de l'enfoncement des tôles, que la pression de l'eau.

Cales du Bugaled

Le rapport de la commission d’enquête a été transmis au Procureur de la République de Quimper en même temps que les bandes d'enregistrement des plongées. Ce rapport, en dehors des constatations matérielles ordonnées, fait état de propositions de matériels et dispositifs pouvant être mis en place sur les bateaux pratiquant le même type d'activité, afin d'éviter que de telles tragédies se reproduisent. Il n'est pas certain que ces suggestions aient été prises en compte. Je pense notamment à des coupe câbles pyrotechniques disposés en sortie de treuil qui auraient permis de cisailler les funes instantanément et simultanément ainsi que des dispositifs particuliers de largage des radeaux de sauvetage qui auraient offert à ces radeaux un niveau de fiabilité suffisant à la confiance qu'on leur accorde.

Naufrage du "Bugaled Breizh

Je suis très surpris qu'aucun patron pêcheur pratiquant le même type d'activité n'ait jamais été confronté à une situation telle que celle du "Cité d'Aleth". Vu le nombre de chaluts gisant sur les épaves, il serait étonnant qu'ils leur aient échappé des mains ou qu'ils aient été abandonnés là par hasard, et que les armateurs se soient aperçu de leur disparition seulement au moment de l'inventaire.
Aucune de leurs déclarations ne fait état de leurs réactions face à une croche difficile, pas plus que de la manière dont ils s'y seraient pris pour s'en sortir et encore moins de leur propre expérience sur des situations dont ils se seraient tirés d'extrême justesse. Pourtant, à l'époque du "Cité d'Aleth", les témoignages était nombreux dans ce sens. Les marins pêcheurs seraient ils devenus infaillibles ? leur quotidien serait il devenu "un long fleuve tranquille" ?
Je ne le pense pas. Malgré la sophistication des moyens de détection, de positionnement, de transmission, de réception de données, que l'on trouve maintenant dans les passerelles, les fonds bougent et des reliefs apparaissent et disparaissent au gré des courants, marées et tempêtes, comme la nature les façonne depuis la nuit des temps.
On pourrait penser que tous ces moyens électroniques pourraient leur permettre d'éviter les obstructions en les contournant largement mais, au contraire, ils leur servent à passer encore plus près pour traquer le poisson qui se concentre à l'abri de ces obstructions. Parfois ça touche...
Cependant, il s'agit toujours d'un des métiers les plus pénibles et des plus dangereux qui soient. Dans le milieu, tout le monde est conscient du risque. Les hommes sont robustes, courageux, durs au mal et vaillants. Périr en mer est le risque majeur et pour eux, admis comme une fatalité. Ils sont prêts à accepter la fatalité à condition qu'ils s'en sentent seuls responsables.
Dans le cas présent, les apparences leur désignent un autre responsable. Un sous marin ! Et là, ce n'est plus une fatalité.

Comme à chaque naufrage, lorsqu'il n'y a aucun rescapé, les hypothèses les plus folles sont avancées, rarement par les marins eux mêmes mais par des "âmes bien pensantes", maritimement incultes, mais en mal de notoriété. Et devant cette force de conviction et le battage médiatique qui s'en suit, ils finissent par adhérer et se convertissent.
Nous nous souvenons tous du naufrage du "Cistude" dont 3 rescapés avaient permis d'impliquer le "Bow Eagle" dans le drame. Ou en serions nous s'il n'y avait eu aucun rescapé ?
Le temps de retrouver l'épave, de la renflouer, de l'analyser, de suivre toutes les pistes (?) d'entendre tous les bavards...
Il y a, heureusement, plus de naufrages avec des rescapés, que de naufrages sans... Sans quoi la psychose serait telle qu'il serait probablement interdit de prendre la mer. Combien de récits de rescapés nous ont permis de connaître la vérité sur des disparitions de navires, bien loin de là ou les fantasmes et les romanciers nous entraînent...

Oui, le métier de marin pêcheur est un vrai métier, qui ne s'apprend ni dans les livres, ni sur internet et dont seuls l'expérience et le vécu peuvent permettre de juger des capacités humaines et professionnelles. Pour ces hommes, il n'est pas facile d'évoquer les drames de la profession, encore moins de risquer de donner l'impression de manquer de courage.
Parler de leurs peurs et de leurs doutes ne déborde pas des limites de la confrérie. Leur façon à eux de conjurer le mauvais sort . Pudiquement, on n'en parle pas. Chez les politiques on appelle cela "la langue de bois".

Questions - Réponses

A chaque évocation de cette tragédie, les mêmes QUESTIONS me viennent immanquablement à l'esprit et des tas de RÉPONSES m'apparaissent. Pas toujours valorisantes mais tellement réalistes.

1-Y AURAIT-IL UNE RAISON PARTICULIÈRE POURQUE L'ÉVENTUALITÉ D'UN SCÉNARIO SIMILAIRE À CELUI DU "CITÉ D'ALETH" N'AIT JAMAIS ÉTÉ ÉVOQUÉ PAR LAPROFESSION ?

Admettre l'erreur humaine à ce stade de l’enquête serait un terrible désaveu pour la profession et les familles. Pourtant, il est indéniable que le patron du "Bugaled Breizh" était compétent pour accomplir toutes les tâches habituelles d'un patron de pêche. Pour preuve la confiance qu'avait mise en lui l'armateur qui lui avait confié tout son bien et la vie de ses hommes. Pour preuve également la confiance de son équipage qui l'avait suivi sans objection. Oui, il était capable d'assurer toutes les tâches habituelles mais était il capable de bien gérer une situation extraordinaire à laquelle il n'avait peut être jamais été confronté ?

2- UN CHALUT POURRAIT-IL, À LUI SEUL, IMMOBILISER UN CHALUTIER EN ACTION DE PÊCHE ?

Pour ceux qui ont déjà vu, au cours d'une tempête, un chalut abandonné arriver sur une plage, y rester le temps de 2 ou 3 marées et disparaître, la question ne se pose pas. La tempête passée, il est fréquent que des engins soient mis à contribution pour tenter d'arracher ce chalut du sable et n'y parviennent pas par traction. Il faut alors faire appel à des engins de terrassement qui vont creuser autour et désensouiller jusqu'à plusieurs mètres. Il sera alors possible aux tracteurs d'extraire le chalut du sable et le tirer jusqu'au sec.

Chalut sur la plage

Un chalut se compose d'éléments flottants et d'autres non flottants. Les mouvements d'eau sur les fonds meubles ont pour conséquence l'enfouissement progressif des objets de densité supérieure. En mer profonde, petit à petit les masses lourdes sont absorbées par les sédiments, descendent et disparaissent progressivement (panneaux divergents, rouleaux, chaînes,...). Les parties supérieures (flotteurs, filet, nokalons, restes du poisson piégé) restent longtemps au dessus du fond et sont les dernières à disparaître.

Le chalutage le plus pratiqué en mer d'Irlande et pointe Cornouaille consiste à racler le fond avec le chalut. Il s'agit d'un chalutage de fond . S'il advient qu'un train de pêche s'accroche à un vieux chalut partiellement enfoui, il lui sera très difficile de s'en dépêtrer, surtout en tirant sur un angle fermé (l'angle ouvert se situant à la verticale), et encore plus par mauvais temps.

3- POURQUOI L'ENQUÊTE N'A T'ELLE PAS ÉTÉ MENÉE SUR LE MÊME SCHÉMA QUE CELLE DU "CITÉ D'ALETH" ?

La Marine Nationale ne disposant plus des moyens d'intervention sous la mer tels que ceux dont elle disposait dans les années 80, il ne lui était pas possible de mener une enquête aussi pointilleuse que celle menée sur le "Cité d'Aleth". Les relevés réalisés sur le Bugaled ont été superficiels et insuffisants. Ils ont laissé de nombreuses zones d'ombre et ainsi ouvert la porte à l'imaginaire et au surnaturel.

A t'on seulement recherché, à proximité, la présence d'un objet insolite ayant pu entraîner l'immobilisation du train de pêche. La découverte d'un simple chalut abandonné, en partie enfoui et invisible aux instruments, aurait suffi à lui seul à fournir l'explication la plus logique et la plus rationnelle qui soit.

4- POURQUOI LES VICTIMES PRÉFÈRENT ELLES IMPUTER LA RESPONSABILITÉ TOTALE ET UNIQUE À UN SOUS-MARIN ?

La nature humaine est ainsi faite... On veut bien reconnaître ses erreurs, mais si on vous affirme que vous n'êtes pas responsable, et que le responsable est identifié, vous finissez par être convaincu de ce que l'on vous dit, en oubliant tout le reste et surtout ce qui fâche. De plus, les pertes, tant affectives que matérielles, sont très importantes. En cas de reconnaissance de la responsabilité d'un état, il pourrait être supposé que les dédommagements seraient plus rapides et plus conséquents.

Il est certainement plus valorisant d'attribuer la cause d'une catastrophe à un élément extérieur, invisible et imprévisible plutôt qu'a une cause humaine qui remettrait beaucoup trop de choses en question.

5- POURQUOI FAUT-IL TOUJOURS, DANS CES TRAGÉDIES, QUE DES PERSONNAGES NON CONCERNÉS, SOUVENT MARITIMEMENT INCULTES, VIENNENTS S'INTERPOSER, HARANGUENT LES FOULES ET LES LANCENT À LA CHASSE AUX SORCIÈRES ?

L'événement réveille toujours les opportunistes en mal de notoriété. Les interventions de ces personnes, extérieures à l'affaire, semblent de prime abord apporter un soutien de nature à faire avancer l'enquête, mais, en réalité, ne font que brouiller les pistes et entraînent les autorités à se justifier et à engager des dépenses inutiles, à fonds perdus.

Dans le cas du Bugaled, les sommes englouties dans les travaux de renflouement et de rapatriement de l'épave auraient été plus utiles aux familles et à l'armateur qu'à ceux qui en ont bénéficié et qui n'en avaient pas réellement besoin. Sans parler des frais de justice, d'engorgement des tribunaux, de monopolisation des enquêteurs, d'expertises, d'enquêtes, de contre enquêtes, de frais d'avocats, et j'en passe...Ces sommes sont maintenant perdues, au détriment d'autres moyens d'investigation, d'autres enquêtes au moins aussi dignes d'intérêt que celle ci et surtout au détriment des ayant droit.

A l'inverse, la notoriété des opportunistes s'accroît et chaque intervention, qu'elle soit télévisée ou sur papier, fait encore grimper la côte... Les ventes de romans décuplent, les bavards redoublent leurs effets de manches, se font un nom, ça tinte dans les caisses sans que le moindre doute ni la moindre pudeur apparaisse.
Certains pleurent leurs proches, d'autres en récoltent les fruits... Si seulement tout pouvait être partagé...

Il existe de vrais experts dans ce genre d'affaires mais il ne faut pas aller les chercher chez les romanciers. Il ne suffit pas de disposer d'un patronyme à consonance bretonne pour s'auto proclamer spécialiste en causes de naufrages, d'autant plus si on est né dans la capitale, que l'on y a fait ses études, que l'on y vit sa vie, que l'on est plus habitué aux salons branchés parisiens qu'aux cales à poisson, que l'on porte plus souvent le costume que le ciré et que l'on ne fait toujours pas la différence entre une mouette et un goéland.... Forcément, lorsqu'il s'agit de différencier une croche d'une collision ou le chalutage de fond du chaulage pélagique L'incompétence est flagrante. Heureusement le ridicule, lui, ne tue pas.
Contrairement aux apparences, à terme, certaines interventions ont la particularité de desservir les causes les plus pathétiques et tout cela,uniquement pour favoriser sa propre situation.

Une économie parallèle s'est créée autour de cet événement et il va être difficile de juguler les appétits de ces énergies parasites.

6- COMMENT PEUT-ON IMAGINER QU'UN SOUS-MARIN PUISSE SE PRENDRE DANS LES FUNES D'UN CHALUTIER, L'EMMENER PAR LE FOND ET COMME PAR MAGIE SE DÉGAGER DE CES CÂBLES PRIS DANS SON KIOSQUE SES AILERONS, BARRES DE PLONGÉE, HÉLICE, TUYÈRE OU TOUT AUTRE APPENDICE DE COQUE, SANS FAIRE SURFACE, SANS MÊME EN AVISER QUI QUE CE SOIT ET CONTINUER SA ROUTE COMME SI DE RIEN N'ÉTAIT ?

J'imagine mal un sous marin traîner un train de pêche prolongé par son chalutier, sur le fond, jusqu'à ce qu'il veuille bien se dégager par lui-même. J'imagine encore moins ce sous-marin faire des manoeuvres avant/arrière en aveugle en faisant tourner son hélice dans tous les sens pour se dépêtrer de ces maudits câbles, de ces dizaines de mètres carrés de chalut, sans risquer d'immobiliser irrémédiablement le sous-marin au fond et entraîner un processus disproportionné.

• En fonction de quoi un homme peut il prendre ce risque?
• Quelle pourrait être la raison impérieuse qui aurait pu l'y amener?
• Un homme pourrait-il prendre le risque d'immobiliser son sous-marin sur le fond en hypothéquant la vie de 70 personnes, en temps de paix ?
• Quand bien même cela se soit produit, qu'aurait pu faire un sous-marin avec une fune ou un chalut dans son hélice ? Tenter de faire surface, à condition que le poids du train de pêche le lui permette... Plusieurs heures auraient été nécessaires à la besogne, et dans ce cas il aurait été vu et n'aurait probablement pas pu replonger.

7- EN ADMETTANT QUE LE DIT SOUS-MARIN AIT PU SE DÉGAGER, COMMENT AURAIT-IL PU FAIRE RÉALISER LES RÉPARATIONS SANS QUE QUI QUE CE SOIT N'EN SOIT INFORMÉ ?

Les militaires ne sont pas capables, à eux seuls, de réaliser des travaux de chaudronnerie à la mesure de l'ampleur des conséquences évoquées plus haut. Ils auraient été obligés de confier cela à leurs arsenaux ou à des chantiers navals civils. C'est le cas de toutes les Forces Européennes. Lorsque l'on connaît l'historique syndicaliste des ouvriers de nos arsenaux, on a du mal à s'imaginer qu'ils puissent garder un tel secret pour eux, le partager entre une vingtaine de personnes sans qu'aucune d'entre elles n'ose en parler, alors qu'une simple déclaration anonyme suffirait à remplir leur devoir de citoyen.

 Chantier
L’USS Greeneville en cale sèche à Pearl Harbor le 21 février 2001 après avoir percuté et coulé en surface l'Ehime Maru

8- DU TITANE SUR LES FUNES ....Pourquoi pas ?

Mais combien de sous marins, autres que ceux de l'ex URSS, entrent le titane comme composant de leurs apparaux et appendices de coque ? Peu ou pas, à ma connaissance. Cependant on entrouvre beaucoup sur les vaisseaux spatiaux, peut être une autre piste à suivre !

Le titane est couramment utilisé comme pigment sous forme de dioxyde de titane. Le fournisseur des peintures utilisées à bord du BUGALED BREIZH a confirmé que les peintures utilisées (blanche pour les superstructures, bleue pour les œuvres mortes et grise pour les treuils) contiennent comme beaucoup d’autres peintures du dioxyde de titane comme pigment, lequel permet par son pouvoir opacifiant, de diminuer l’épaisseur des couches sans faire ressortir la sous-couche de base.

 Chantier
HMS Ambush amarré au port de Gibraltar après être entré en collision en surface avec un navire marchand.

9- N'Y AURAIT-IL PAS UNE AUTRE HYPOTHÈSE ENVISAGEABLE QUI N'ENTRAÎNERAIT PAS TOUTES CES INTERROGATIONS ?

Il aurait été souhaitable que le dossier du "Cité d'Aleth" soit consulté et que la commission chargée du dossier "Bugaled Breizh" s'en soit inspirée. Aucune piste ne peut être négligée. En suivre une seule me semble bien restrictif et irréaliste.
Néanmoins, je reste persuadé que cela a été fait et dans ce cas il faudra s'attendre à des révélations, très loin de celles attendues par l'opinion publique manipulée.

10- QUE VA T'IL SE PASSER SI, MALGRÉ L'ACHARNEMENT À IMPLIQUER UN COMMANDANT ASSASSIN ET UN ÉTAT FÉLON, AUCUN SOUS-MARIN NE VIENNE À ÊTRE CLAIREMENT IDENTIFIÉ ?

L'opinion publique va se déchaîner sur l'irresponsabilité et la perfidie du supposé coupable, tout cela alimenté par ceux qui ont intérêt à ce que la pression ne retombe pas encore et dès lors, la cause réelle et reconnue ne pourra jamais plus être identifiée.

On prendra sûrement des dispositions pour qu'aucun sous-marin ne vienne plus, à l'avenir, couler un bateau de pêche et le "Bugaled Breizh"retombera peu à peu dans l'oubli. Dans l'oubli, jusqu'à ce qu'un autre chalutier ne subisse le même sort et on repartira à la chasse aux sorcières.

Ne serait il pas temps d'ouvrir les yeux, d'analyser objectivement les éléments en possession de la justice et d'établir la cause réelle du naufrage? Et, une fois cette cause identifiée, y apporter des dispositions réalistes de nature à éviter, autant que faire se peut, que pareil drame ne se reproduise.

Il est à craindre que la voie vers laquelle on nous dirige ne soit pas celle qui mettra fin aux naufrages inexpliqués de chalutiers...
Les victimes et l'ensemble des marins pêcheurs ne se rendent probablement pas encore compte que la tournure que prennent les événements va à l'inverse de leurs intérêts et hypothèque encore plus leur avenir.

Conclusion

Oui, le "Bugaled Breizh" a peut être été coulé par un sous marin... mais peut être pas...

Jean-Maurice Authié

 

RAPPORT DU BEAMER SUR LE NAUFRAGE

 

Notes

1. L’ombilical est composé d'un faisceau de câbles et tuyaux alimentant chaque plongeur en gaz respiratoire, en énergie pour le réchauffage de ces gaz, en communications phoniques et câble vidéo. La longueur de l'ombilical est d'environ 30 mètres.